SANTÉ
La
musicothérapie, une pratique pleine d'espoir
LIZA FABBIAN
CRÉÉ LE 16/08/2013 / MODIFIÉ LE 16/08/2013 À 11H32
Antidépresseur
naturel, protection contre le vieillissement, aide pour retrouver la parole,
espoir contre la maladie d'Alzheimer... Les vertus de la musique et
l'efficacité de la musicothérapie sur le cerveau sont de plus en plus reconnus
par le corps scientifique et médical. Enquête.
Nous sommes tous des « experts de
la musique », capables de choisir intuitivement l’accord parfait qui
viendra clore une phrase musicale. Notre cerveau préfère la consonance à la
dissonance. Nous sommes aussi des danseurs. La musique rythmique a une
résonance immédiate sur notre système nerveux et active presque instantanément
notre système moteur. Les bébés chantonnent avant même de parler et les petits
enfants se mettent à gigoter lorsqu’ils entendent une musique entraînante. Mais
les primates aussi vocalisent pour bercer leurs petits, et les perroquets ne
peuvent s’empêcher de danser et de secouer la tête en cadence.
Qu’en déduire scientifiquement ?
Les recherches génétiques menées ces dernières années et l’apport des
neurosciences permettent d’approfondir notre connaissance du cerveau et font
naître de grands espoirs dans le domaine de la santé. Elles tendent notamment
aujourd’hui à démontrer que nous possédons un « cerveau musicien » et
qu’il n’est pas improbable que nous ayons exploité ce cerveau avant même
d’accéder à la parole. La plupart des réseaux neuronaux qui permettent l’analyse
de la musique par le cerveau côtoient en effet les réseaux du langage. Avec
surprise, les chercheurs ont constaté que, suite à un accident cérébral, les
déficits de perception de la musique et du langage sont parfois dissociés. Il
n’est ainsi pas rare qu’un musicien devenu aphasique continue de jouer et
composer. C’est la preuve que langage et musique, bien que proches, restent
relativement indépendants dans le cerveau.
Une aide pour retrouver la parole
« C’est intéressant en
rééducation, car on peut stimuler par la musique les régions du langage qui
sont déficientes. Cela permet de contourner un peu le problème », explique
Hervé Platel, professeur de neuropsychologie à l’Université de Caen. La
thérapie mélodique et rythmée, couramment utilisée par les orthophonistes,
permet de désinhiber la parole des personnes aphasiques : la musique fait
office de béquille, offrant un support rythmique et mélodique qui favorise la
prononciation.
Un antidépresseur naturel
De la même façon, la musique peut
soutenir le pas des malades atteints de Parkinson, qui, en pratiquant la danse,
parviennent à mieux contrôler leurs mouvements. Plus surprenant, l’écoute
passive de musique produit des effets cognitifs : une étude a montré
qu’une écoute quotidienne favorise une récupération significative de la mémoire
verbale et de l’attention chez les patients victimes d’AVC. De plus, ceux-ci
sont moins sujets aux états dépressifs ou de confusion.
« La musique active la zone de la
récompense et du plaisir », explique le neurologue Pierre Lemarquis.
« Le cerveau sécrète de la dopamine et des endorphines, qui donnent envie
de vivre. En écoutant de la musique, vous secrétez aussi de la morphine, qui
apaise la douleur. Sous cet angle, la musique s’apparente vraiment à un
médicament », détaille-t-il.
Des études ont montré que les différentes
composantes de la musique (rythme, timbre, hauteur) engageaient des régions
cérébrales distinctes. Ce caractère « diffus » de la musique dans le
cerveau, explique en partie la préservation des compétences musicales dans
nombre de pathologies neurologiques.
Les IRM réalisés chez les musiciens
montrent que la musique stimule le cerveau au niveau des hippocampes.
« L’hippocampe est la structure d’entrée de la mémoire », explique
Hervé Platel. « Dans le cerveau, la tête de l’hippocampe touche l’amygdale
[dans la partie frontale du lobe temporal], une région très importante dans la
gestion des émotions. Les deux vont ensemble. Et la musique joue sur tous ces
niveaux : elle stimule de manière conjointe les réseaux des émotions, les
réseaux de la mémoire, du langage et les régions de la motricité. » C’est
ce que le chercheur surnomme joliment « la symphonie neuronale ».
Sur les IRM, le cerveau des musiciens
s’illumine. « Je ne connais aucun autre média qui produise autant de
stimulations dans autant de réseaux cérébraux en même temps ! »,
s’émerveille Hervé Platel. Le chercheur a placé la mémoire et la musique au
cœur de ses recherches. Là encore, les stimuli musicaux agissent à plusieurs
niveaux : « Quand on écoute de la musique, on fait fonctionner toutes
nos mémoires. Or, il y a des aspects de la mémoire que l’on connaît encore
mal : notamment la manière dont une expérience de la vie sensorielle
s’imprime dans le cerveau », explique Hervé Platel.
Un accès direct aux souvenirs
La musique, ancrée à différents niveaux
de la mémoire, a justement le pouvoir singulier de faire ressurgir l’émotion du
passé. « Le souvenir est prisonnier dans les plis du cerveau comme dans un
sac, avec les émotions qui lui ont donné naissance. On ne peut pas y accéder en
temps normal », détaille le neurologue Pierre Lemarquis. « Mais en
écoutant certaines musiques familières, on va retrouver l’émotion et le
souvenir va ensuite sortir intact. Cette mémoire débarrassée du langage est une
mémoire du corps et de l’émotion. Elle est beaucoup plus solide. »
Le cadre des maladies neurologiques, et
plus particulièrement des maladies neurodégénératives, se révèle donc très
pertinent pour mieux comprendre les effets de la musique sur la mémoire. Pierre
Lemarquis raconte l’histoire bouleversante d’un patient atteint d’un Alzheimer
déjà avancé : celui-ci ne reconnaissait plus sa femme, ni ses filles. Ces
dernières ont alors l’idée d’amener la vieille clarinette de leur père lors
d’une consultation avec le neurologue. Dans le cabinet de Pierre Lemarquis,
l’homme se saisit naturellement de son instrument, et, retrouvant son assurance
d’ancien musicien, entonne un air de Mozart. À la fin du morceau, le patient se
souvient du nom de son village natal et son discours se fait plus fluide. Puis,
s’approchant tout près du neurologue, il lui glisse : « Comme ça vous
savez… je suis un peu là encore ».
Un espoir contre la maladie d’Alzheimer
À Caen, les chercheurs se sont
intéressés à des patients atteints d’Alzheimer, et présentant des troubles
massifs de la mémoire, qui apprenaient pourtant des chants nouveaux et étaient
capables de les produire longtemps après. « C’est la démonstration qu’il y
a des apprentissages possibles chez ces patients », affirme Hervé Platel.
« Pendant longtemps, on a eu le sentiment que, dans cette pathologie, il
n’y avait plus d’encodage de ce qui avait été vécu. On sait désormais qu’un
patient atteint d’Alzheimer continue à mémoriser les perceptions, les sensations
de ce qu’il vit, même s’il n’est pas capable d’en rendre compte. »
La musicothérapie permet d’accompagner
ces patients, en stimulant les zones intactes de leur mémoire. « On ne va
pas soigner la maladie d’Alzheimer, ni faire repousser des neurones avec des chansons »,
tempère Francis Eustache, directeur d’une unité de recherche de l’Inserm au CHU
de Caen. « Mais on peut stimuler la cognition, et redonner une vie
affective et sociale à ces personnes en les faisant chanter, peindre
ensemble. » Ces découvertes ont amené une réflexion sur la prise en
charge, incitant les soignants à abandonner les activités
« occupationnelles » classiques pour aider ces malades à sortir de
leur apathie.
Une protection contre le vieillissement
Les chercheurs s’intéressent également
aux effets de la musique sur la « réserve cognitive » du patient en
bonne santé. « La réserve cognitive, c’est le patrimoine que l’on
constitue tout au long de sa vie, qui va nous permettre de résister aux effets
physiologiques de l’âge et de retarder les signes cliniques de certaines
maladies du cerveau », détaille Francis Eustache. La musique, en
sollicitant l’intellect et la concentration, développe-t-elle la plasticité
cérébrale ? Pour le savoir, les chercheurs tentent de percer les mystères
de l’hippocampe, l’une des zones du système limbique, dans laquelle les
neurones se développent tout au long de la vie. La musique pourrait bien
accélérer indirectement cette neurogénèse : des expériences menées sur des
souris et des rats soumis à des stimuli musicaux montrent que la production de
neurones est augmentée dans leurs hippocampes. « Mais on ne sait toujours
pas précisément ce qui produit cet effet neurostimulant », pointe Hervé
Platel. La réflexion reste donc ouverte sur cet aspect « mystérieux et
magique » de la musique.
Les « amusiques » et le Che
Signes distinctifs : _ils chantent
faux, ont des difficultés à entendre une fausse note, ou présentent une
véritable aversion pour la musique. Près d’une personne sur vingt serait
atteinte d’amusie congénitale. Che Guevara est le plus célèbre d’entre eux.
Selon une étude publiée en mai par deux équipes du centre de recherche en
neurosciences de Lyon, les amusiques présentent un traitement altéré du son
dans deux régions cérébrales. À cause de cette anomalie, le signal nerveux
produit par la musique se propage moins vite dans leur cerveau et altère leur
perception des hauteurs.
À lire
Le Cerveau
mélomane, d’Emmanuel Bigand. Belin, 21 €.
- Le Cerveau musicien.
Neuropsychologie et psychologie cognitive de la perception musicale, de
Francis Eustache, Bernard Lechevalier et Hervé Platel.
D Boeck, 43,50 €.
-
Sérénade pour un cerveau musicien, de Pierre Lemarquis. Odile Jacob,
24,90 €.
GANDILLOT SARAH/MALINGREY REMI - Publié le 7 août 2008 - La Vie n°3284
MUSIC'AILES CHANTE POUR LES CŒURS
ISOLÉS
Deux vraies Terriennes. Delphine
Malglaive et Milena Antonova ont toutes les deux ce même visage rond et ces
yeux rieurs qui -trahissent une grande douceur. Leur posture est droite et
installée, propre à celle des chanteuses. Elles parlent toujours de leur métier
avec passion et tendresse, émotion et humilité. Elles ont pourtant de quoi être
fières car elles viennent d'être récompensées par le prix Île-de-France du
concours Talents 2008, qui encourage la création d'entreprise. En février
dernier, elles ont créé Music'ailes, une petite Scop (société coopérative de
production) - voir encadré - qui vient apporter de la joie à ceux qui sont dans
la souffrance (www.musicailes.com). Régulièrement, ces deux chanteuses lyriques
formées à la musicothérapie interviennent dans les hôpitaux, les maisons de
retraite et dans les collèges, auprès de personnes âgées démentes ou
désorientées, de handicapés ou d'élèves en difficulté. Elles utilisent la
musique et le chant comme média de la relation thérapeutique.
Elles débarquent avec leur malle
d'instruments, leurs enregistrements et surtout leur voix pour animer des
ateliers pas comme les autres. Elles demandent aux anciens ce qu'ils aimeraient
entendre et leur chantent les mélodies de leur jeunesse, de leur passé, de leur
pays. Pour activer la mécanique du souvenir. Au palmarès des artistes les plus
demandés : Édith Piaf, Charles Trenet, Joséphine Baker, Yves Montand et Tino
Rossi, évidemment. Mais aussi du classique. Le Boléro, de Ravel, les Quatre
Saisons, de Vivaldi, la Lettre à Élise. Avec ces chansons, leur lot d'images
vieillies, d'instants perdus, d'émotions enfouies qui remontent à la surface.
Des voyages « à bicyclette », des bribes de « vie en rose » où « on chant[ait]
du soir au matin »...
« Le langage musical précède le
langage parlé, explique Delphine. -Utiliser ce média permet de travailler sur
des mécanismes profonds, primaires, archaïques. » Proposer aux personnes de
verbaliser leur désir en demandant une chanson est un premier pas. Les jeunes
femmes se servent des musiques du monde. L'occasion de parler des origines de
chacun. « Il est important de valoriser l'identité propre des résidents. De ne
pas oublier qu'ils ont encore des choses à dire. » Cela change le regard des
soignants sur les résidents. En tant qu'individus avec une histoire propre. «
Chaque semaine, nous arrivons avec notre énergie et notre envie d'aller
chercher ce à quoi les familles et le personnel soignant ne croient plus »,
raconte Delphine. Pas toujours facile...
Les réactions sont parfois
inattendues, il faut savoir s'adapter. Un jour, pour souhaiter la bienvenue à
un résident, militaire de carrière, les chanteuses interprètent la
Marseillaise. Accès de colère. « Il était furieux que le groupe l'ait chantée
sans se lever », se souviennent-elles. À la fin de l'atelier, il a redemandé
cet air. Tout le monde s'est levé. Ravi, il s'est excusé. La musique adoucit les
mœurs.
Delphine a interprété un vieux chant italien à une patiente en
fin de vie. Cela faisait des mois que les médecins annonçaient sa mort, mais
elle s'accrochait. Pour choisir le bon moment. Le chant de Delphine lui a
permis de partir en paix. « Elle attendait un dernier instant de beauté pour
quitter ce monde tranquillement », se souvient-elle. Un autre jour, elle entre
dans la chambre d'une vieille dame aphasique et remarque que la patiente porte
un nom tchèque. Delphine interprète un chant traditionnel. La résidente qui ne
bougeait plus depuis longtemps a saisi sa main. « J'ai senti qu'on était en
phase », raconte-t-elle. Pour affronter ces moments lourds en émotions,
Delphine et Milena puisent leur énergie dans les concerts de leur ensemble
vocal Music'ailes. Musiciennes jusqu'au bout des ongles.
GRZYBOWSKI LAURENT - Publié le 15 juin 2006 - La Vie n°3172
L'émotion par les notes
On savait que la musique joue sur
nos sensations. Une étude scientifique genevoise inédite, que La Vie s'est
procurée, démontre qu'elle suscite des émotions rares, mais qu'elle peut aussi
modifier nos comportements en profondeur.
Ne vous est-il jamais arrivé de
verser une larme en écoutant la bande originale du film la Leçon de piano ?
D'éprouver un très fort sentiment de joie avec le finale du Carnaval des
animaux de Saint-Saëns ? D'être gagné par la mélancolie en découvrant l'Adagio
en sol majeur d'Albinoni ? Ou encore de ressentir un formidable besoin de
tendresse avec le Concerto pour piano n°1 en mi mineur de Chopin ? Puissant
vecteur de sentiments, la musique provoque en nous des émotions parfois
contradictoires, souvent incontrôlables. Mélodies et rythmes se révèlent
capables de déclencher des sensations fortes.
Des chercheurs de l'université de
Genève se sont penchés sur cet étrange pouvoir des sons composés et vont faire
paraître, dans quelques mois, une étude qu'ils ont menée pendant huit ans, qui
aide à mieux comprendre le fonctionnement de cette relation singulière. Le Pr
Marcel Zentner, psychologue et ancien enseignant à l'université de Harvard et
son collègue Klaus Scherer ont demandé à des centaines de mélomanes de décrire
les sentiments qu'ils ressentaient à l'écoute de leur répertoire favori, par le
biais d'un questionnaire comprenant 150 adjectifs.
Réalisés en laboratoire, mais aussi
dans les rues de Genève à l'occasion de la fête de la Musique, ces tests ont
permis d'établir neuf catégories d'émotion qui surviennent régulièrement chez
les auditeurs : émerveillement, puissance, nostalgie, transcendance, calme,
joie, tendresse, tristesse et agitation. « Des sentiments que nous éprouvons
rarement au quotidien, constate Marcel Zentner. Tandis que la culpabilité, la
honte ou le dégoût, plus familiers, ne jouent pas de rôle quand on écoute de la
musique. » Le registre classique et le jazz déclenchent des émotions
apaisantes, très similaires, allant de la nostalgie à l'émerveillement en
passant par la tendresse. La techno et la musique latino-américaine provoquent
plutôt l'euphorie, alors que le rock produit des effets plus mitigés,
différents selon les auditeurs. «Ce genre musical peut conduire à la rage ou à
la révolte, mais c'est justement ce que recherche ceux qui l'écoutent, précise
le PrZentner. Dans la mesure où ces émotions répondent à un besoin, on ne peut
pas dire qu'elles sont négatives. »
Les scientifiques ont voulu aller
plus loin et analyser les mécanismes de ces réactions. Là encore, des
volontaires se sont prêtés à l'expérience et ont supporté monitoring et
électrodes pendant l'écoute d'un morceau de musique. Résultat : pour la majorité
des œuvres concernées, il existe des moments-clés, de quelques secondes, durant
lesquels l'auditeur est soumis à un pic émotionnel, souvent accompagné de
réponses physiologiques, telles que le frisson ou l'accélération du rythme
cardiaque. Une modification du timbre ou de la texture orchestrale, l'entrée
d'un instrument solo, un changement de tonalité ou une ambiguïté harmonique
font naître une tension ou une expression de surprise chez l'auditeur. « C'est
peut-être de l'accumulation de ces éléments que naît l'émotion », avance Marcel
Zentner.
Les travaux de l'équipe genevoise se
prêtent à des applications prometteuses, notamment dans le domaine de la
musicothérapie, une discipline apparue dans les années 1960. Autisme infantile,
psychoses chroniques, névroses, handicaps sensoriels, états dépressifs, sorties
de coma… la liste est longue de ces pathologies pour lesquelles la musique peut
rendre de grands services.
Praticienne dans un service
géronto-psychiatrique d'un hôpital de la région parisienne, Béatrice Abadie
fait écouter à certains de ses patients atteints de démence sénile ou sujets à
des crises d'angoisse de la musique celtique ou des airs d'opéra. « Je mesure
chaque jour l'effet apaisant de ces œuvres sur les malades. Toutes les émotions
qu'elles leur procurent, même la mélancolie ou la tristesse, sont pour moi
positives. Car éprouver des émotions, c'est savoir que l'on est encore vivant.
» Les travaux du Pr Zentner pourront aider cette musicothérapeute à
sélectionner les morceaux qu'elle leur fait entendre, non plus seulement de
manière intuitive, mais à partir d'éléments scientifiques plus objectifs.
En collaboration avec Valérie
Piguet, médecin des hôpitaux universitaires de Genève, Marcel Zentner a aussi
voulu étudier les possibilités d'utiliser la musique pour soulager les douleurs
chroniques. Trois groupes de candidats ont été invités à tremper leur main dans
un bac rempli d'eau glacée. Ceux du groupe à qui était diffusée une musique aux
sonorités agréables ont supporté l'épreuve cinq secondes de plus que les
autres, soit une différence de 20 à 25 % avec les deux autres groupes. « La
musique ne supprime pas la douleur, mais permet au sujet de l'interpréter
différemment, explique Valérie Piguet. Parce qu'elle agit sur nos émotions,
elle augmente considérablement notre seuil de tolérance. » Cette thérapie
musicale pourrait être une solution, peu coûteuse, à certains traitements
médicamenteux.
En observant le comportement des
bébés, Marcel Zentner s'est aussi rendu compte que le corps tout entier, et pas
seulement l'oreille et le cerveau, joue un rôle essentiel dans notre perception
musicale. C'est parce que les sons déclencheraient des mouvements corporels, de
manière innée, qu'ils provoqueraient en nous des émotions, et non l'inverse.
Contrairement aux adultes, les bébés n'ont pas d'a priori culturel. Sensibles
aux timbres et aux belles consonances, ils montrent de l'intérêt pour toutes
formes de musique et réagissent par le mouvement, dès l'âge de six mois, avec
plus ou moins de démonstration. Ainsi, ce nourrisson qui, à l'écoute d'une
musique, se dandinera sur les fesses en poussant un petit cri à chaque rebond,
tandis qu'un autre se contentera de bouger la main ou de hocher la tête.
Le corps médical n'est pas le seul à
s'intéresser aux travaux du Pr Zentner. Les professionnels du cinéma ou de la
télévision comptent bien s'approprier ces résultats pour obtenir, de façon
moins aléatoire qu'aujourd'hui, l'effet souhaité sur le public. Les
publicitaires pourraient bien, eux aussi, s'engouffrer dans la brèche.
Musiques sur ordonnance
Même s'ils rechignent à le faire,
certains musicothérapeutes prescrivent parfois des musiques, comme d'autres
délivrent des médicaments. À chaque bobo sa symphonie.
- Insomnies la Rêverie de Schumann,
le Largo de Haendel, l'Ave Maria de Schubert ou le XXI e Concerto pour piano de
Mozart.
- Mal de dos et tensions la Sonate
pour flûte, alto et harpe de Debussy ou le prologue de la Belle au bois dormant
de Tchaïkovski. Le concerto l'Empereur de Beethoven suffira pour un simple
apaisement. Et le Requiem de Fauré sera parfait pour la relaxation.
- Bébés angoissés le 1er mouvement
(allegro con brio) de la Symphonie n ° 1 de Beethoven ou les Corps glorieux
pour orgue d'Olivier Messiaen sont, paraît-il, très appréciés des nouveau-nés,
qui trouvent là de quoi calmer leurs angoisses. À la maternité de l'hôpital de
Kosice-Saca, dans l'est de la Slovaquie, les médecins préfèrent offrir Mozart
aux nourrissons pour, disent-ils, « encourager leur développement physique et
mental ».
- Étudiants stressés De fait, la musique de cet illustre
compositeur semble avoir des effets très stimulants. Au cours d'une de ses
études, le Pr Alfred Tomatis, pionnier de la musicothérapie, a observé que ses
étudiants avaient amélioré leurs scores de 9 points à un test de QI, après
avoir écouté, pendant dix minutes, la Sonate pour deux pianos en ré majeur K
448. De là à affirmer que la musique de Mozart rend plus intelligent…
LEGRAND GUY - Publié le 28 décembre 1995 - La Vie n°2626
France 2 20.55
LA VIE Musique sur ordonnance
Visage mangé par la barbe, une
chevelure blanche à la Ferré, il fait un peu artiste. Didier,
quatre-vingt-trois ans, cloué dans un fauteuil roulant depuis l’âge de onze
ans, vient de réaliser son rêve. Depuis quelques jours, il joue d’un
instrument. Et pas n’importe lequel : la batterie. Didier bénéficie d’une
invention. En appuyant sur une simple poire, il déclenche des instruments électroniques,
fait résonner tambours et cymbales. Ainsi, la vie lui paraît moins monotone
dans le centre de long séjour où il réside.
Remède à l’ennui, la musique ? Pas seulement : elle semble
pouvoir apaiser, voire aider de grands malades. Envoyé spécial dresse ce soir
le catalogue des bienfaits de la musicothérapie : des étonnantes expériences
menées par Françoise Rouvery avec les autistes, celles de Dominique Bertrand
avec les cancéreux, jusqu’à l’hôpital Louise-Michel d’Evry où l’on tranquillise
les prématurés avec les mélodies préférées... de leurs parents. Une fois,
pourtant, cela faillit rater. Rien ne marchait. Jusqu’au moment où une
infirmière brancha la radio. Sur la station préférée de la maman.
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